Dans le cadre de la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH), la CFTC a organisé un grand colloque à la chambre d’agriculture de l’Isère, à Moirans, le vendredi 15 novembre. Des dizaines de représentants issus des milieux paritaires, syndicaux et associatifs s’y sont retrouvés, pour échanger autour d’un thème : l’emploi des personnes handicapées et autistes, dans le secteur agricole. Un environnement professionnel où le handicap, à rebours des lieux communs, a en réalité toute sa place.

L’idée avait commencé à germer en février 2024. Le moment choisi par l’Agefiph pour publier une étude qui pouvait alors paraître surprenante aux yeux des non-initiés. Dans ce document – intitulé “Agriculture : emploi et handicap” – cet organisme paritaire, chargé de favoriser l’insertion professionnelle des personnes handicapées, tirait un constat clair : « Contrairement à certaines représentations, agriculture, emploi et handicap sont compatibles. » Didier Moguelet, chef de file CFTC en charge du handicap, (par ailleurs vice-président de l’Agefiph) ne pouvait dès lors pas passer à côté du sujet. Ce vendredi 15 novembre, à Moirans, la CFTC organisait ainsi un grand colloque sur l’agriculture, le handicap et l’autisme. « En 2024 et 2025, la CFTC a choisi d’insister sur l’insertion professionnelle des personnes autistes, précise Didier Moguelet. Celles-ci peuvent, d’ailleurs, tout à fait s’épanouir en milieu agricole. »

« La vanille est inclusive : elle ne va pas vous juger sur votre nœud de cravate! »

C’est précisément ce qu’a pu démontrer l’écrivain et philosophe autiste Josef Schovanec, en ouverture de l’événement. « Dans le milieu du handicap – et plus particulièrement de l’autisme – on a toujours beaucoup cherché à trouver des opportunités dans l’agriculture » explique-t-il devant les dizaines de responsables associatifs, syndicaux, cadres de mutuelles et chefs d’entreprises présents pour l’événement. « Pour beaucoup de personnes autistes, l’idéal, c’est en effet de travailler en milieu naturel. L’ONF (l’organisation nationale des forêts) est d’ailleurs une entreprise qui est souvent citée par les autistes, quand on leur demande dans quelle firme ils souhaiteraient idéalement travailler. »

Le secteur primaire, peut, de fait, parfaitement correspondre aux caractéristiques cognitives des principaux concernés. « Beaucoup de personnes autistes travaillent dans le maraîchage et le paysage, parce qu’elles aiment bien ce qui est très rectiligne, carré et organisé, précise Didier Moguelet. La géométrie de ces métiers, les taches prédéfinies et organisées qu’ils requièrent, leur correspondent bien. »  Josef Schovanec confirme: « J’avais rencontré un Monsieur autiste en Nouvelle-Calédonie, qui m’avait expliqué avoir trouvé un métier parfait pour lui : travailler dans une plantation de vanille. Vous savez, dans ce genre de job, si vous présentez mal, si vous avez quelques difficultés sociales, ce n’est pas grave: la vanille est inclusive, elle ne va pas vous juger sur votre nœud de cravate! »

Le handicap a toute sa place en milieu agricole

Au-delà même du cas particulier des travailleurs autistes, ce sont l’ensemble des personnes en situation de handicap (NDLR : rappelons, au passage, que 80 % des handicaps sont invisibles), qui peuvent potentiellement trouver des débouchés professionnels dans le secteur primaire. « En 2022, 2,2 % des personnes handicapées en emploi exerçaient une profession relevant de l’agriculture, de la pêche, de l’aquaculture ou de travaux forestiers et ruraux, explique ainsi Marie-Laure Belair-Dargent, la déléguée régionale de l’Agefiph en Auvergne-Rhône-Alpes. Cela représente environ 25 000 travailleurs.»

Par comparaison, l’ensemble du secteur agricole représente 2,6 % de l’emploi total en France métropolitaine. « On voit donc bien que le différentiel est faible. A l’Agefiph, nous voulons donc démontrer que, à rebours des idées reçues, agriculture, emploi et handicap sont compatibles! » Le secteur agricole est par ailleurs en tension, comme en attestent les 50.000 personnes qu’il recrute chaque année : « On sait que ce milieu est pourvoyeur de postes en tous genres, poursuit Didier Moguelet. Maintenant, la question est : comment faire en sorte que ces métiers soient accessibles et proposés aux personnes en situation de handicap? Comment accompagner dans l’emploi ce public à besoins spécifiques? »

Mécanisation, aménagement des postes de travail : des solutions existent

La mécanisation des métiers du secteur constitue un premier élément de réponse. A titre d’exemple, des exosquelettes existent désormais pour faciliter le travail des maraîchers et ouvriers agricoles, diminuant ainsi leurs contraintes physiques. En outre, certains salariés handicapés peuvent parfaitement œuvrer dans les métiers de la vente, du conditionnement (emballage, mise en palette…) ou encore de la maintenance du matériel agricole. A ce titre, un aménagement des postes de travail peut être nécessaire : « Les possibilités sont très larges, poursuit Marie-Laure Belair-Dargent. On peut aménager un tracteur pour un handicap spécifique, financer un bras articulé, une prothèse… »

Pour ce faire, un employeur ou salarié du secteur agricole peut solliciter le Cap emploi de sa région, ces structures publiques accompagnant la construction des parcours professionnels des personnes handicapées. Elles peuvent notamment dépêcher un ergonome pour étudier le poste de travail concerné, et l’adapter aux restrictions du salarié ou futur salarié. Les Cap emploi peuvent aussi aider un employeur à instruire leur dossier de demande d’aide financière, qui sera ensuite adressé à l’Agefiph.  « Le monde agricole est constitué à 98% des TPE et PME, précise Didier Moguelet. Les patrons ne sont pas toujours bien informés des solutions à leur disposition. Comme syndicat, c’est aussi notre rôle d’orienter et de sensibiliser les employeurs et leurs salariés à ces sujets, notamment en les orientant vers les aides financées par l’Agefiph. »

Adaptabilité

A l’image du matériel et du poste de travail, l’organisation du travail peut aussi être adéquatement adaptée à certains handicaps : « Si on prend l’exemple des personnes autistes, il faut bien comprendre que nous avons souvent affaire à des gens qui vivent mal les imprévus et les excès de stimuli sensoriels, comme le bruit, explique Vincent Chevrot, directeur de La Ferme de Belle Chambre, un lieu de vie et d’activité pour adultes handicapés mentaux. Le trajet au travail peut, à lui seul, générer chez elles une grande fatigue cognitive. Pour les mettre dans les meilleures conditions, un employeur peut, par exemple, prévoir un lieu pour qu’elles puissent se prendre un petit moment pour s’isoler, se ressourcer. »

PDG de la société Andros de 2006 à 2018 et père d’un enfant autiste qu’on lui disait inemployable, Jean-François Dufresne est allé un cran plus loin. Cet ancien grand patron est intervenu au colloque de la CFTC pour présenter son association, Vivre et travailler autrement (VETA). Cette organisation est créée en 2014. Elle s’est faite une spécialité d’organiser l’insertion des salariés autistes dans le monde du travail dit ordinaire, dans des entreprises aussi diverses que Barilla, l’Oréal et Safran. « A l’originenotre projet-pilote a été développé sous l’égide du Groupe Andros, raconte-t-il. A Auneau (Eure et Loire), une des usines du groupe spécialisée dans les produits laitiers embauche aujourd’hui 11 adultes autistes en CDI, qui réalisent des tâches simples, répétitives et adaptées à leur handicap. » Son fils fait partie du nombre. « Le lundi matin, quand il part pour rejoindre l’usine, il quitte la maison le sourire aux lèvres, se réjouit l’ex grand patron. Néanmoins, à VETA, on insiste bien sur une chose : les entreprises ne doivent pas embaucher des personnes autistes par charité, si vous me permettez l’expression. Dans des conditions appropriées, ce sont des salariés autant, voire plus performants, que les travailleurs classiques. »

Inclusivité

Il trouve aberrant le taux d’emploi des personnes autistes en France, qui ne dépasse pas 10% : « Les employeurs ont des biais cognitifs, les parents aussi, souvent, en surprotègant leurs enfants. Mais aux USA, près d’un autiste sur 2 travaille. C’est la démonstration même que ces personnes sont tout à fait employables, dès lors qu’elles disposent de postes et responsabilités adaptés. » Une adaptabilité à laquelle est naturellement enclin le milieu agricole, appuie Didier Moguelet. « La plupart des salariés du secteur travaillent dans des TPE. Le patron les connaît, déjeune souvent avec eux. Il est sensibilisé à leurs problèmes quand ils sont en situation de handicap, quel qu’il soit. Comprendre ces enjeux les incite à vouloir aider leurs salariés à trouver des solutions adaptées. » De quoi, aussi, faire écho aux propos de Josef Schovanec, qui avait conclu son intervention par ces mots : « Voilà ma conviction : en matière de handicap, je crois que le secteur primaire a le potentiel d’être très inclusif. »

AC
Article paru sur cftc.fr

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